AUX AMIS DES SPORTS

(actualisé le ) par louboutinj, Paul

Marcel Madec et son épouse Mimi démarrèrent la tenue du café qui prendra l’appellation "Aux Amis des Sports" en 1940. Auparavant, le café était tenu par Mr et Mme Le Duff.

Des travaux de réaménagement interne furent entrepris, et le choix de l’appellation du café en façade fut débattu, car Marcel voulait un lien avec le sport. Ancien sportif, ayant eu des titres dans les championnats militaires et bretons, lanceur de javelot, de poids, mais aussi pratiquant du basket, du football. Dans le livre de G. Cadiou, "La grande histoire de l’Athlétisme en Bretagne", avec son frère Jean, Marcel est cité dans la catégorie des hommes forts.
Marcel, ayant pris une activité professionnelle, ne sera pas en permanence au comptoir, ce sera sa femme Mimi qui tiendra le café pendant de nombreuses années et évidemment après le décès de Marcel en 1954. Une clientèle diversifiée, très populaire, avec beaucoup de clients fidèles.
Bien sûr que c’est un lieu à risques, on a vu des gens chuter au fil du temps, mais ce n’était qu’une minorité. En revanche le bistrot, en général, est un lieu de vie et la brochure "Bretons" (n° 141 avril 2018) "Peut-on sauver nos vieux bistrots", le livre du poète morlaisien (A.Y.A.Charles) et d’autres publications en témoignent.

Une clientèle diversifiée  
Il y avait des individuels, des petits groupes d’amis à l’occasion, des équipes plus installées. Par exemple des personnes rentrant du travail le soir, tels ces deux beaux-frères revenant à pied de l’arsenal où ils travaillaient dans deux secteurs différents et qui s’attendaient pour prendre un verre en passant. Il y avait aussi des personnes travaillant à la centrale électrique du Portzic et qui résidaient dans la cité EDF à Keranroux, et dont le vélo était le moyen de transport en groupe. Il y avait tous les jours une petite halte au café. Et puis un jour un responsable syndical actif obtient un transport collectif. Fini le petit arrêt ! Comme quoi le social peut ébranler le relationnel…
C’était un lieu où se rencontraient aussi des commerçants, des artisans ; des représentants de fournisseurs. C’était dans les années 50/60, la reconstruction, l’urbanisation, il y avait beaucoup de chantiers dans le quartier. Par exemple, la construction des HLM dans la rue François Cordon, mais aussi de nombreux pavillons et lotissements.
Ce pouvait être prendre un verre à la débauchée, mais aussi venir prendre un litre de vin à emporter, dans la journée, tout comme ceux qui travaillaient au cimetière, à consommer sur le lieu de travail.

Un jour il y a un contrôle fiscal, Marcel Madec s’installe dans le fond du café avec l’inspecteur des Impôts qui a vision sur le comptoir. Il y avait plusieurs enterrements à préparer au cimetière, il faisait chaud sur les chantiers, ce fut un petit défilé pour venir "prendre des munitions" à emporter. L’inspecteur des Impôts intervient pour dire à Marcel que ce qu’il constate valide ce qui a été déclaré et confirme une vente à emporter assez importante (c’est à dire une quantité qui rapporte moins que débitée au verre). À quoi ça tient !
Il y avait aussi deux entreprises voisines qui avaient de très bonnes relations avec le café, beaucoup d’amitié, de sympathie. Il s’agissait de l’entreprise d’Henri Jézéquel et de la fonderie de Jean Boulbry. Prendre son casse-croûte avec soi et venir le manger au comptoir en consommant un verre était courant, prendre un verre parfois à la débauchée. Il y avait Bichon et Bichette, un couple de poissonniers qui, circulant sur leur moto-triporteur vendaient du poisson. Ils faisaient une pause au café dans la matinée, sortaient leurs casse-croûtes qu’ils accompagnaient d’un petit verre de vin blanc, après avoir servi les quelques clients venus acheter du poisson.
Et puis le cimetière, centre de vie pour le café, pourrait-on dire. Au delà des gens qui y travaillaient il y avait les enterrements. Beaucoup de gens passaient au cimetière et retrouvant des amis, des membres de la famille, certains s’arrêtaient au café.
Pour la commerçante tous les enterrements ne se ressemblent pas : une personne d’un quartier populaire, une personne de l’arsenal, un agriculteur décédant ça peut amener des clients. En revanche il y a d’autres milieux sociaux qui n’ont pas les mêmes pratiques.

Le dimanche
après la messe, il y a des groupes qui se forment autour des "baby-foots", parfois ce sera quelques agriculteurs qui se réunissent et évoquent des problèmes de structures de leur profession, comme parfois aussi des membres du club de pétanque de la Légion Saint-Pierre sous la houlette d’Alain Cosquer. Parfois aussi, le dimanche autour d’Alain Cosquer à nouveau, se réunit un groupe de célibataires qui à 14 heures prendra, à pied la route de Sainte-Anne, de la Maison Blanche. Et le soir on les voit revenir au café après une bonne marche et parfois une partie de pétanque sur le trajet. En hiver ce sera pour un groupe assister au match de la Légion St Pierre quand elle joue au Valy-Hir.
Le café, fermé le dimanche après-midi devra être ouvert pour 17 heures, c’est-à-dire à la fin du match. Les clients ont leurs habitudes.
Et il y avait aussi les personnes seules qui venaient souvent au-delà du plaisir de boire un verre, pour rencontrer d’autres. C’était un lieu où l’on parlait : les clients entre eux mais aussi avec la patronne Mimi, toujours très réceptive et attentive aux soucis et préoccupations de ses clients. Le café c’était aussi une ouverture sur la société dans sa diversité.

Il y avait Michel Floch, le père, l’historien de Saint-Pierre qui habitait en face, et venait parfois prendre un verre avec une personne lui rendant visite. Un jour il expliqua qu’on lui avait fait remarquer qu’il venait au café alors qu’il faisait partie d’une association qui luttait contre l’alcoolisme. Mais expliqua-t-il lutter contre l’alcoolisme ne signifie pas d’interdire de boire. Il faut trouver la juste mesure !
Et il y avait de grands rendez-vous ! Par exemple, la semaine précédant la Toussaint, beaucoup de gens venaient entretenir les tombes, et beaucoup d’hommes s’octroyaient un petit réconfort au comptoir du café. Et le jour de la Toussaint c’étaient souvent des groupes familiaux qui se retrouvaient et prenaient plaisir à s’attabler ensemble.

Les cyclistes
Autre rendez-vous, la course cycliste organisée par le Club Cycliste Quilbignonais (CCQ), le challenge Victor Eusen. Le départ et l’arrivée de la course se tenaient devant le cimetière. Beaucoup de coureurs se changeaient dans les chambres au-dessus du café. Il y avait beaucoup de spectateurs sur les trottoirs. Les enfants, ma sœur Michèle et moi, étions invités au moment du départ des coureurs à vendre le programme, au bénéfice du CCQ, qui affichait les noms et numéros de dossard des coureurs. Derrière le comptoir l’équipe était renforcée pour servir les clients.
Dans le domaine du vélo, il y avait aussi eu de l’animation à travers des défis que s’étaient lancés des clients. C’était une course cycliste "Saint-Pierre – Le Conquet – Saint Pierre" entre Henri Jézéquel le couvreur et Louis Riou le mouleur de la fonderie. Plus tard le groupe s’étoffera et officiera sur le même circuit. Cela créait de l’engouement, de l’animation au comptoir et beaucoup de personnes du quartier venaient assister au départ et à l’arrivée des concurrents. Cela valut même un article dans le Télégramme.
Marcel Madec en tant qu’ancien sportif était compétiteur. Il organisera des concours de belote. Il arrivait que le 1er prix fut une tête de veau, achetée chez le boucher du quartier, prête à être cuite et qui pendant le concours trônait sur une petite table dans la salle du café, du persil dans les naseaux.
Et il y avait le Tour de France, grand évènement sportif très suivi en Bretagne. C’était mon devoir de vacances en quelque sorte. Je devais écouter le résultat de l’étape retransmis à la radio par Georges Briquet et afficher à la vitrine le classement du jour et le classement général. Les gens se déplaçaient pour prendre connaissance. Il y avait un personnage scrutant l’affichage qui amusait certains clients au comptoir, c’était Vévé, célibataire vivant au bourg avec sa sœur Françoise célibataire aussi. Vévé ne savait pas lire, il n’y avait qu’un nom qu’il pouvait reconnaître quand il était dans la liste affichée. Ce nom c’était ROBIC, le coureur breton qui avait gagné le Tour de France qui suivit la fin de la guerre 39-45. Aussi, s’il m’apercevait, Vévé me demandait des nouvelles de Robic, de sa place dans l’étape du jour s’il n’apparaissait pas à l’affichage.

La pétanque
Et ce fut dans cet après guerre l’apparition de la pétanque. Ce n’était pas un jeu très pratiqué dans la région. Comme beaucoup d’anciens marins, Marcel Madec avait ramené d’une affectation à Toulon des boules de pétanque. Les trottoirs devant le cimetière n’étaient pas recouverts de macadam à l’époque et étaient des terrains intéressants pour les pétanqueurs. Tout un groupe de clients se mit à pratiquer la pétanque. Des contacts avec d’autres quartiers amenèrent même à organiser des concours de pétanque le dimanche matin sur les trottoirs. Ce furent sans doute parmi les premiers concours organisés dans le secteur brestois.
Il y avait à cette époque beaucoup de constructions de bateaux à l’arsenal, y compris des bâtiments civils tels le paquebot "Antilles", le cargo mixte "Tahitien", et des entreprises du Sud de la France y participaient. Un pétanqueur marseillais laissera un grand souvenir, Nène (orthographe non garantie), par la qualité de son jeu et par le cérémonial qui l’accompagnait. Un vrai spectacle médusant beaucoup de Brestois généralement plus discrets quand ils jouaient à la pétanque qui se développera à Saint-Pierre avec la création d’une section pétanque à la L.S.P. animée par Alain Cosquer.

Les agriculteurs
Parmi la clientèle il y en avait aussi une, plus atypique, que l’on appelait "les domestiques de ferme", vieille appellation remontant à loin dans le temps. On ne les appelait pas encore salariés agricoles. Parmi eux, il y avait un personnage qui ressortait du lot, un ancien prisonnier de guerre d’origine polonaise, je crois, s’appelant Stanis. Très classe, très digne, il était resté attaché à une ferme du secteur après la guerre. Et le dimanche il passait fréquemment "Aux Amis des Sports" et consommait tranquillement un café-cognac, une consommation peu fréquente au bar, où dominait le petit-rouge…
Le matin il y avait la livraison de lait au quartier par des agricultrices en voiture à cheval. Jean Lannon, sa sœur Marie, agriculteurs à Coatan, faisaient une halte au café. Certaines personnes se faisaient servir immédiatement, d’autres déposaient leurs pots à lait au matin qu’ils récupéraient dans le bar à l’heure de midi.
Une fois par semaine c’était le car Menguy de Ploumoguer qui conduisait un groupe d’agricultrices et leurs lots de beurre à un marché brestois. Il y avait arrêt devant le café, certaines personnes présentes étaient servies aussitôt, pour d’autres, absentes, leur lot de beurre était stocké dans la salle du bar et elles passaient dans la journée le récupérer.

On chante
Quelquefois il y a quelques uns qui poussent la chanson à la fin de la journée de travail, au comptoir. Il y a un signe qui indique le degré de consommation d’alcool. Par exemple les premières paroles d’une chanson : "La belle de Cadix a des yeux de velours…" pour l’un, pour un autre c’est lorsqu’il commencera à chanter des cantiques religieux en latin… Mais en général ça se termine vers les 20 heures, car c’est aussi l’heure du dernier bus pour certains.
Il y avait une bonne ambiance , des personnes étaient heureuses d’être ensemble.

Les clients sont-ils des ivrognes ?
Un jour, un très bon client, très estimé a un problème, et fait un court séjour à la prison de Pontaniou. La fenêtre de sa cellule donne sur la porte du Carpont, porte d’entrée à l’arsenal au niveau du plateau des Capucins. Et c’est le souvenir fort de son séjour qu’il ramènera et développera au comptoir à son retour. Il reconnaît des Quilbignonnais, jugés comme sérieux à Saint-Pierre car ne fréquentant pas les cafés, à l’inverse de notre ami et de son auditoire, et qui à la débauchée descendent dans le fameux café "Le Trou", près de la porte de l’arsenal.
"Nous sommes considérés comme des ivrognes à Saint-Pierre parce que nous fréquentons les bistrots, mais parmi les hommes dits sérieux il y en a qui pourraient nous rejoindre sans grands efforts…" développe-t-il.

La fin du café
Mimi Madec a tenu son café jusqu’en 1974, des problèmes de santé lui ont imposé une retraite anticipée. Marcel Prédour et Jeannette qui connaissaient bien la maison ont pris la suite. Mais hélas, le destin a été cruel pour eux et ils ont disparu prématurément, et le café "Aux Amis des Sports" aussi.
Lieu de vie, lieu de contacts, de lien social, permettant l’expression avec tous ses excès aussi, le café "Aux Amis des Sports" a vécu, et laissé beaucoup de souvenirs.
Aujourd’hui dans de nombreuses localités victimes de la disparition de commerce, les municipalités, les associations, recréent des cafés servant de bases d’animations de la commune sur différents thèmes, touchant à la diversité, au lien social.
Sur ce thème je rapporte une conversation d’un client qui avait été le témoin d’une scène dans un autre café de Saint-Pierre. Il s’agit de l’Abbé Manis, vicaire à Saint-Pierre, prêtre ayant marqué beaucoup de jeunes en organisant des voyages dans les années 50. Un jour, pour un déplacement pour un enterrement il bénéficie d’une place dans une voiture avec d’autres participants. Pour remercier ses compagnons il les invite à prendre une consommation dans un café. Il passe commande et dit "Pour moi ce sera un Saint Raphaël (apéritif très à la mode à l’époque), car c’est une appellation en harmonie avec mon activité de prêtre". La diversité était si grande dans les cafés que même la spiritualité pouvait s’y trouver...
Jean Pierre Madec